Perspective d'une scientifique sur la recherche sur le syndrome de Rett
Jocelyn LeBlanc, PhD
Selon un consensus général dans l’univers de la recherche, le temps du syndrome de Rett est arrivé. La preuve scientifique pour cette perspective optimiste est soigneusement documentée dans un nouvel article de revue intitulé "Rett syndrome crossing the clinical threshold to translation" publié dans le numéro de février de la revue "Trends in Neurosciences". Les auteurs, qui incluent Monica Coenraads de RSRT, fournissent un sommaire complet des progrès de la recherche et une évaluation réaliste des stratégies thérapeutiques pour le syndrome de Rett. Cet article est une excellente ressource pour quiconque veut en savoir plus sur le sujet. Les auteurs abordent également quelques-unes des raisons pour lesquelles le syndrome de Rett a suscité l’intétêt des chercheurs universitaires, des industries pharmaceutiques de bio-technologie; ceci mérite une discussion plus poussée.
Si vous avez une personne bien-aimée qui a le syndrome de Rett, il n’y a pas de doute dans votre esprit que la recherche soit nécessaire. Mais vous êtes-vous jamais demandé pourquoi plusieurs scientifiques vouent leur carrière à l’étude d’une maladie aussi rare? Quel aspect du syndrome de Rett attire les chercheurs, et les pousse à s’engager pour des décennies afin d’en apprendre davantage.
Ce sujet me touche vraiment car je suis une de ces scientifiques. Comme stagiaire postdoctoral dans un laboratoire neuroscientifique de Boston, j’ai évalué les compétences cognitives en utilisant des méthodes adaptatives telles que le suivi du regard, que j’ai utilisé également pour caractériser le développement cortical chez les enfants atteints du syndrome de Rett. J’ai rencontré des douzaines de filles et leur famille dans le cadre de ce projet. En échangeant avec les parents lors de ces séances d’évaluation, j’ai souvent eu à les rassurer qu’il y a véritablement un espoir de remède. Je suis d’autant plus convaincue parce que, comme scientifique, je sais que plusieurs facteurs poussent la recherche vers l’avant. J’aimerais partager certaines de ces raisons avec vous.
1. Nous connaissons la cause du syndrome de Rett
On a surnommé le syndrome de Rett la "Pierre de Rosette" des troubles de cerveau (la clé pour nous aider à déchiffrer ceux-ci), car contrairement à plusieurs autres, le syndrome de Rett est mono-génique (causé par un seul gène – MECP2). Ceci est important pour plusieurs raisons, mais une des plus importantes est que la connaissance de ce gène responsable a permis la création de plusieurs modèles de rongeurs pour étudier le syndrome de Rett. Ces modèles sont considérés comme excellents car ils ont la même construction (même cause génétique) et les mêmes manifestations (mêmes symptômes) que les patients humains. Ceci est crucial dans les communautés médicales et scientifiques pour l’acceptation des résultats de tels modèles et leur application thérapeutique chez les humains.
2. Le syndrome de Rett est pertinent avec les Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA)
Bien que le syndrome de Rett soit extrêmement rare (1/10,000 filles), les TSA sont malheureusement très répandus (1/68 individus). La motivation derrière la recherche sur les TSA est régie par son incidence croissante. Mais les avancées sont lentes puisqu’il n’y a pas de cause unique identifiée. Les TSA sont difficiles à étudier chez des modèles animaux parce qu’il s’agit, par définition, de troubles du comportement. Evidemment les souris ne socialisent pas ni ne communiquent de la même manière que les humains, et c’est donc un défi de valider un modèle animal, si on ne peut observer la même construction et les mêmes manifestations.
Voici où se situe le syndrome de Rett. Ce syndrome était considéré comme un TSA jusqu’à la plus récente révision du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Un des symptômes précoces du syndrome de Rett peut être apparenté quelquefois aux TSA. De plus, certains individus atteints de TSA sont porteurs de mutations MECP2, et d’autres gènes associés aux TSA fonctionnent de façon similaire à MECP2. Cette connexion entre les TSA et le syndrome de Rett a été et demeure extrêmement importante pour attirer des chercheurs surtout intéressés par les TSA. Bien que des troubles mono-génétiques comme le syndrome de Rett ne représentent qu’une fraction des TSA, leurs modèles animaux validés signifient qu’une interprétation plus significative et concrète des résultats est possible. Même si maintenant le syndrome de Rett fait l’objet d’un diagnostic indépendant des TSA, les chercheurs croient que les progrès dans la recherche sur le syndrome de Rett aidera à mieux comprendre les TSA.
3. MECP2 est une protéine fascinante aux rôles multiples
MECP2 se retrouve dans toutes les cellules du corps, y compris dans tous les types de cellules du cerveau. MECP2 joue des rôles importants dans des processus tels que la régulation de la transcription génétique, la structure de la chromatine, l’épissage de l’ARN, la régulation de la microARN, la maturation neuronale, la plasticité synaptique, la synthèse des protéines, les modifications post-traductionnelles, et l’équilibre excitateur/inhibiteur. Plus simplement, cette protéine est cruciale pour pratiquement tout ce que les cellules du cerveau doivent accomplir afin que nous permettre de survivre et de fonctionner correctement. Nous pouvons apprendre beaucoup au sujet du cerveau en étudiant une protéine comme MECP2. Ce qui signifie que l’intérêt scientifique pour MECP2 dépasse son implication dans le syndrome de Rett
4. Le syndrome de Rett est réversible chez les souris
Nous sommes tous au courant des études démontrant le renversement des symptômes du syndrome de Rett chez la souris adulte, ouvrant la possibilité de guérir le syndrome chez les enfants et les adultes qui manifestent les symptômes. Plusieurs aspects du développement du cerveau sont séquentiels, et se produisent pendant des périodes critiques ou sensibles. Cette preuve que la destruction causée par le syndrome de Rett peut être renversée, même à un stade tardif, est vraiment étonnante, et signifie que la période permettant un traitement efficace peut être plus longue que prévue à l’origine. Ceci rend l’étude du syndrome de Rett encore plus séduisante, compte tenu qu’un objectif réel pourrait être à portée de main.
Les familles se dévouent pour l’avancement de la recherche
La mise sur pied d’organismes de bienfaisance, et les levées de fonds effectuées par des familles infatigables, ont fourni un soutien financier appréciable aux chercheurs. Ceci a permis à plusieurs scientifiques de colliger les données préliminaires leur permettant de s’établir en recherche, et d’obtenir des fonds additionnels de la part d’organisations plus importantes. Il peut être parfois difficile pour les parents d’apprécier la valeur de la recherche fondamentale car leur "focus" est dirigé vers des traitements immédiats qui les aideront à gérer les symptômes et à améliorer la qualité de vie de leur enfant. Toutefois les parents Rett ont toujours été conscients des objectifs à long terme, lorsqu’ils ont eu à décider quels projets soutenir. Cette perspicacité a permis de faire avancer notre connaissance de la neuro-biologie sous-jacente au syndrome de Rett.
Au-delà des levées de fonds, les familles participent activement aux études de recherche et aux essais cliniques, parcourant parfois de grandes distances et sacrifiant beaucoup de temps personnel. Ceci a assuré le succès de programmes tel le "Natural History Study" financé par le "US National Institutes of Health" qui a accéléré la caractérisation du syndrome, et facilité l’identification d’étapes significatives d’essais cliniques. Ce dévouement des familles est inspirant et a permis de pousser cette recherche en avant.
5. Mes raisons
J’aimerais conclure en partageant ma motivation personnelle pour l’étude du syndrome de Rett. Après avoir passé des heures innombrables avec plusieurs filles affectées, je n’ai aucun doute que leur langage réceptif est bien meilleur que documenté précédemment. En d’autres termes, "elles sont là". Ceci peut sembler évident à un proche, mais les cliniciens et chercheurs n’ont pas toujours l’occasion d’apprécier ceci lors de courtes visites, particulièrement lorsque ces visites ont lieu dans un contexte non-familier ou intimidant pour l’enfant.
Je suis heureuse de constater que l’hypothèse traditionnelle de déficience cognitive sévère est maintenant remise en question grâce à l’avancée des méthodes de suppléance à la communication. J’imagine qu’on doit démontrer un courage impossible afin de combattre un corps qui ne suit pas et tenter de s’exprimer. Cette constatation indique l’urgence de libérer ces filles et ces femmes en trouvant un remède.